Les batteries tout-solide à semi-conducteurs
Alors que les enjeux de transition énergétique et de mobilité durable ne cessent de s’amplifier, le stockage électrochimique par batteries devient un secteur stratégique. Si les batteries lithium-ion ont longtemps dominé le marché, une nouvelle génération de batteries « tout-solide » pourrait bien prendre le relais à l’avenir. Examinons en détail cette technologie très prometteuse.

Principes des batteries solides
Un électrolyte solide remplace le liquide
Dans une batterie conventionnelle, l’électrolyte est un liquide organique conducteur d’ions lithium qui assure le transfert des charges entre les électrodes. Cependant, ces électrolytes liquides présentent l’inconvénient majeur d’être inflammables et sources potentielles d’emballement thermique.
Le concept des batteries tout-solide consiste à remplacer cet électrolyte liquide par un matériau solide conducteur ionique. On utilise généralement des oxydes métalliques ou des sulfures sous forme de couche mince entre les électrodes positive et négative.
Différents matériaux conducteurs ioniques
Les principaux matériaux étudiés comme électrolytes solides sont :
- Les oxydes de lithium comme Li7La3Zr2O12 (LLZO) ou Li1,3Al0,3Ti1,7(PO4)3 (LATP)
- Les sulfures de lithium vitreux comme Li2S-P2S5
- Les polymères conducteurs solides
Ces matériaux permettent la conduction des ions lithium ou sodium par divers mécanismes de conduction ionique dans le solide (lacunes, interstitiels, interfaces, etc.).
Avantages indéniables
Hausse de la densité énergétique
Grâce à l’utilisation possible de lithium métal pour l’anode (impossible avec les électrolytes liquides classiques), les batteries solides pourront atteindre une densité énergétique massique de 400 à 500 Wh/kg, contre 250-300 Wh/kg pour les meilleures batteries Li-ion actuelles. Cette performance accrue sera un atout considérable pour les véhicules électriques par exemple.
Amélioration cruciale de la sécurité
En supprimant tout risque de fuite d’électrolyte liquide inflammable, les batteries solides deviennent quasiment incombustibles et insensibles aux courts-circuits. Leur large fenêtre de stabilité électrochimique (0-5V) et leur bonne tenue en température (jusqu’à 150°C) les rendent aussi beaucoup plus sûres en conditions d’utilisation extrêmes.
Durée de vie allongée
L’électrolyte solide, plus stable chimiquement que les liquides organiques, ne se dégrade pas avec le cyclage. Combiné à l’absence de formation de dendrites de lithium métal à l’anode, ce facteur permet d’espérer une durée de vie de 10 à 20 ans pour ces batteries, contre 5 à 10 ans pour le Li-ion.
Défis technologiques à surmonter
Si les perspectives sont séduisantes, de nombreux défis techniques freinent encore l’industrialisation des batteries solides :
Conductivité ionique limitée
La conductivité ionique des électrolytes solides actuels (10-4 à 10-3 S/cm) reste inférieure à celle des électrolytes liquides (10-2 S/cm). Des progrès sont nécessaires pour augmenter cette conduction et les performances électriques.
Stabilité des interfaces
Le principal frein réside dans la formation de couches bloquantes isolantes aux interfaces électrode/électrolyte qui font chuter la capacité. Il faut concevoir des interfaces parfaitement stables pour une bonne cyclabilité.
Coût élevé des matériaux
Certains matériaux d’électrolytes comme le LLZO restent coûteux à produire. Un effort est requis pour réduire ces coûts, par exemple en utilisant des procédés moins onéreux que le frittage réactif.
Production des cellules
L’assemblage des batteries solides nécessite des techniques nouvelles comme le pressage à chaud pour assurer un bon contact aux interfaces. La mise au point d’un process industriel robuste est un enjeu majeur.
Ces défis techniques sont cependant progressivement relevés par les industriels et les laboratoires de recherche travaillant d’arrache-pied sur cette technologie incontournable.
Applications concrètes en vue
Transport électrique de masse
Grâce à leur densité énergétique accrue et leur sécurité incomparable, les batteries solides séduisent de nombreux constructeurs automobiles pour les véhicules électriques. Toyota vise une production en série dès 2025, tandis que BMW, Volkswagen et Daimler prévoient un déploiement vers 2030.
Électrification de l’aéronautique
Dans l’aéronautique où les contraintes de poids sont cruciales, les batteries solides légères offrent un potentiel intéressant pour alimenter les systèmes auxiliaires de bord. Airbus prévoit de tester des prototypes sur ses prochains modèles.
Stockage stationnaire résidentiel
Leur grande longévité et leur sécurité optimale seront également de précieux atouts pour le stockage résidentiel d’énergie solaire ou éolienne. De multiples startups comme Solid Power, QuantumScape ou SolidEnergy se positionnent sur ce marché prometteur.
Poids lourds en course
De nombreux acteurs industriels se lancent dans la course à l’électrolyte solide parfait :
- Les géants automobiles comme Toyota, BMW, Volkswagen, Daimler investissent massivement
- Les leaders des batteries Li-ion comme Samsung, LG Chem et Panasonic se repositionnent
- De multiples startups très actives comme Solid Power, QuantumScape, Ilika, SolidEnergy, Oxis Energy, Blue Current...
- Les industriels des matériaux comme Ohara, BASF, Sumitomo Chemicals fournissent les électrolytes
- Les équipementiers comme Siemens travaillent sur la production
Un effort de R&D international majeur est en cours pour lever tous les verrous techniques dans les années à venir.
SAIC Motor : Objectif commercialisation en 2026
Le groupe automobile chinois SAIC Motor a annoncé son intention de commercialiser des batteries solides dès 2026. Cette annonce positionne SAIC Motor en avance sur ses concurrents mondiaux tels que Toyota, Nissan et Volkswagen, qui prévoient des lancements de production plus tardifs, entre 2028 et 2030.
SAIC Motor prévoit de commencer par déployer des batteries semi-solides dans ses véhicules hybrides et électriques (marques MG, Baojun et Wuling) dès 2025. Les véritables batteries à état solide devraient suivre en 2026, ce qui pourrait marquer un tournant pour l’industrie des véhicules électriques. La berline IM L6, dont la sortie est prévue en Chine en octobre 2024, sera le premier modèle de SAIC Motor à être équipé d’une batterie solide.
L’avis de CATL sur les batteries solides
CATL, autre géant chinois des batteries, se montre prudent quant à l’engouement autour des batteries solides. Selon CATL, le plus grand fournisseur mondial de batteries, cette technologie, souvent présentée comme la prochaine révolution dans l’industrie automobile pour les véhicules électriques, n’est pas encore viable à grande échelle, la jugeant peu pratique et dangereuse.
Le PDG de CATL, Robin Zeng, a fait part de ses réserves quant à la viabilité commerciale des batteries solides en raison de l’utilisation de lithium métallique pur et des problèmes de pressurisation, qui limitent leur durabilité et présentent des risques pour la sécurité. Il estime que cette technologie ne sera pas prête pour une production commerciale viable avant au moins une décennie.
Perspectives sur le long terme
Selon les analystes, les batteries tout-solide devraient atteindre une maturité technologique et une production à grande échelle autour de 2030. À cette période, leur coût pourrait baisser à environ 80-100 $/kWh, soit une réduction de 50 à 60% par rapport aux batteries Li-ion actuelles.
En parallèle, leur densité énergétique volumique devrait être au moins doublée, avec des conséquences majeures pour l’autonomie et la compacité des véhicules électriques.
Ces avancées conjuguées permettront de poser des bases solides pour une transition massive vers les véhicules zéro émission et pour intégrer les énergies renouvelables au cœur des systèmes électriques du futur.
Conclusion
Avec un niveau de sécurité, de durabilité et de performances énergétiques sans précédent, les batteries tout-solide révolutionneront à n’en pas douter le stockage électrochimique dans les prochaines années. Même si des progrès restent à accomplir, l’effervescence mondiale des activités de recherche et le fort engagement industriel présagent d’avancées décisives à très court terme. Une étape clé vers un avenir énergétique sobre en carbone, plus durable et plus fiable.
D’ores et déjà, cette technologie de rupture apparaît comme un formidable catalyseur pour concrétiser les grandes transitions en cours : mobilité zéro émission, déploiement massif des renouvelables intermittentes, décentralisation des réseaux électriques… Les batteries solides à semi-conducteurs sont bien plus qu’une simple évolution incrémentale. Elles représentent la prochaine étape incontournable du stockage de l’énergie pour répondre aux immenses défis environnementaux qui nous attendent.